Metaverse France TV

Lettre à moi-même depuis le monde de Second Life

France Télévisions m’a proposé de contribuer à leur dernier numéro de Cahier de tendances médias, « méta-média » (#20 – Automne Hiver 21) intitulé « Métavers et Métamedias. Un 3e chapitre d’Internet » (PDF du numéro disponible ici). Ce cahier de tendances de près de 200 pages couvre tout un ensemble de domaines et de questionnements relatifs au metavers : éléments de définition, distinction réel-viruel, relation avatar-usager, modèles économiques…

Pour cette courte contribution, Gehan a choisi de prendre le clavier pour écrire une lettre depuis Second Life ; laquelle est reproduite en intégralité ci-dessous.

Bonne lecture.

***

Cher toi, cher moi,
cher Jean-François,

J’ai croisé Hugobiwan Zolnir hier, sur l’île du Métalab 3D, ce territoire en trois dimensions que nous utilisions entre 2007 et 2011 pour expérimenter le potentiel d’usages de Second Life (SL) par les acteurs publics des territoires, dits réels.

J’interprète cette rencontre fortuite sur nos terres natales comme la conséquence d’une certaine nostalgie, voire d’un hommage, à l’égard de ce que nous avons connu dans Second Life, loin de la récente agitation relative aux futurs « métavers ». Je vis ce moment de manière quelque peu analogue à celui que j’ai traversé lors du buzz médiatique de 2007-2008, lorsque entreprises, universités, territoires publics et partis politiques ont investi notre univers. Il est amusant de constater que les promesses actuelles des métavers sont identiques à celles d’il y a presque 15 ans, si ce n’est un changement de technologie prochain avec la réalité augmentée notamment.

Je pressens que cette agitation s’essoufflera rapidement, comme ce fut le cas en 2008 pour SL, qui a toutefois persisté même s’il ne faisait plus la une des journaux. D’ailleurs, en 2021, comme en 2011, te demande-t-on encore si Second Life est « mort » ? Nous sommes certainement moins nombreux qu’en 2011, lorsque l’on comptabilisait 800 000 comptes actifs et 50 000 connexions quotidiennes en moyenne, mais je croise toujours de nombreux fidèles comme de nouveaux curieux. As-tu des informations à ce sujet depuis que Linden Lab, l’éditeur de SL, qui a connu des difficultés financières à partir de 2010, a cessé de communiquer ces statistiques ?

Notre communauté peut sembler anecdotique comparée aux 350 millions de joueurs inscrits sur Fortnite. Pourtant, de nombreux événements qui ont lieu dans ce type d’univers de pixels ressemblent à ceux que nous avons connus dans SL et bien d’autres mondes virtuels, qu’ils soient « online » (concerts, expositions, conférences, rituels religieux, jeux… dire que nous en comptions près d’un millier par jour en 2010 !) ou « hybrides », soit se déroulant simultanément et en interaction entre votre monde physique et notre monde numérique. D’ailleurs, je ne peux m’empêcher de penser aux concerts en réalité mixte des Trans Musicales de Rennes auxquels nous avons contribués en 2008, 12 ans avant que le rappeur Travis Scott fasse couler beaucoup d’encre pour un concert « simplement online » dans Fortnite.


Nous connaissons les nombreuses raisons qui expliquent que Second Life n’a jamais eu le succès escompté (absence de narration, complexité de l’interface, ressources informatiques nécessaires, etc.), mais cela n’enlève rien à son caractère précurseur, tant il a ouvert les possibilités d’explorer les « nouveaux nouveaux mondes », ces territoires artificiels que nous construisons et explorons en même temps, selon l’expression de Georges Balandier. Là était d’ailleurs l’idée initiale du créateur de SL, Philip Rosedale, qui imagina ce monde dès 1991, avant de l’ouvrir en 2003 au grand public, comme un espace vierge destiné à être créé par ses propres utilisateurs, ses résidents (qui ont produit près de 99 % des contenus !). Nous sommes au début de cette nouvelle conquête spatiale, sociale et économique, qui ouvre d’innombrables perspectives pour explorer, investir voire habiter le monde commun numérisé que nous partageons quotidiennement. Je me réjouis donc des expériences qui nous attendent et de notre présence conjointe dans ces mondes, dans notre monde.

Dans l’attente de ta visite.
Ton fidèle avatar numérique,
Gehan Kamachi